Maroc : « les OPCI apportent plus de professionnalisme au marché de la location professionnelle » (Interview)




Avec 28 Organismes de Placement Collectifs en Immobilier (OPCI) créés à ce jour au Maroc, la dynamisation du secteur immobilier est en marche. Dans cet entretien exclusif à reponsimmo.com, Youssef SALIHI* revient sur les particularités mais aussi les mécanismes de ce véhicule d’investissement introduit récemment au Maroc. Facteur de relance du secteur immobilier mais également moyen perfectible d’ériger un modèle « maroco-marocain » de l’OPCI, notre expert nous livre dans cet entretien son analyse.

Comment les OPCI peuvent-ils participer à la dynamisation du secteur immobilier à la fois dans ses composantes professionnelles et résidentielles au Maroc ?

Devenus incontournables dans le paysage immobilier marocain depuis leur opérationnalisation fin 2019, les OPCI ont été introduits effectivement, dans le but de contribuer à la dynamisation du secteur immobilier.

Avant de répondre à votre question, il est utile de rappeler que la fiscalité attrayante de l’OPCI est l’une des principales raisons de son essor. A mon avis, la disposition fiscale phare reste indéniablement le régime dérogatoire temporaire (article 247-XXVI du Code Général des Impôts), en vertu duquel les opérations d’apport de biens immeubles à un OPCI se font, sous réserve du respect de certaines conditions, sans frottement fiscal.

Ainsi, cette disposition a permis à certains opérateurs économiques notamment institutionnels, disposant d’un patrimoine immobilier dense et dilué d’apporter ledit patrimoine à un OPCI avec à la clé un sursis d’imposition de la plus-value d’apport.

Dans ce sens et pour répondre à votre question, parmi les premières expressions de la dynamisation du secteur immobilier dans sa composante professionnelle, on retrouve la stimulation des transactions immobilières.

En effet, avec 28 OPCI créés principalement à travers des opérations d’apport de biens immeubles, des transactions immobilières d’envergure se sont multipliées et de nouveaux actifs immobiliers se sont retrouvés sur le marché, apportant une nouvelle dynamique à l’ensemble de l’écosystème : Evaluateurs immobiliers, Notaires, Conseillers en immobilier, Courtiers, Commissaires aux apports, conservation foncière…

Aussi, à travers les OPCI, l’objectif est de mobiliser de nouvelles ressources, notamment l’épargne longue, pour les orienter vers le secteur immobilier : Il s’agit de mettre en place un pont supplémentaire entre, d’une part, des épargnants/investisseurs en quête de placements plus attrayants et sécurisés et d’autre part, le secteur immobilier en quête de nouvelles sources de financement.

En somme, le développement des activités des OPCI passera certainement par l’absorption des stocks non vendus de plateaux de bureau et la création de nouvelles zones commerciales et industrielles.

De même, le dispositif prévoit une évaluation au moins semestrielle des biens immobiliers détenus par les OPCI par deux évaluateurs immobiliers agréés. Cette disposition permettra d’apporter plus de transparence au marché immobilier avec à la clé une sorte de référentiel immobilier bis dans les zones où les biens immeubles sont situés.

Enfin, les OPCI apporteront plus de professionnalisme au marché de la location professionnelle notamment en mettant sur le marché des biens immeubles conformes aux normes internationales et aux attentes des entreprises.

S’agissant de la composante résidentielle de l’immobilier, bien que le cadre juridique ne l’exclut pas du dispositif, mais de par la structure actuelle du marché immobilier, l’OPCI est plus adapté à la location d’immobilier d’entreprise. De ce fait, à mon avis pas d’effet, du moins immédiat, des OPCI sur le résidentiel. En revanche, nous n’excluons pas le développement dans le futur d’OPCI avec une composante résidentielle.

- Quel Bilan coût/opportunité d'une externalisation de la gestion du patrimoine immobilier d'une entreprise via un OPCI ?

Si le choix d’incorporer fatalement le patrimoine immobilier dans le patrimoine de l’entreprise était toujours irréfutable, des réflexions autour de l’utilité économique de ce choix ont commencé à émerger dans l’esprit des opérateurs économiques marocains disposant d’un parc immobilier dense et dilué, notamment dans un contexte réglementaire favorable. Ces réflexions ont été portées, notamment par le choix de l'allocation des ressources : Sont-elles mieux employées en étant immobilisées dans des murs ? Ou faut-il opter pour une réallocation desdites ressources à travers un investissement directement productif ?

En effet, externaliser son patrimoine immobilier permet aux entreprises de se recentrer sur le « Core business » et de se réorienter vers le cœur d’activité dont les rentabilités sont en général supérieures à celle de l’immobilier. En plus, en confiant ledit patrimoine à un OPCI, il est confié à des professionnels (société de gestion d’OPCI), ainsi celui-ci sera mieux valorisé et exploité.

Par ailleurs, dans un contexte de crise économique liée à la crise sanitaire du Covid-19, avec le tarissement des sources de financement classiques et l’augmentation du coût de la dette, l’externalisation du patrimoine immobilier professionnel se révèle être un moyen privilégié de refinancement ou de désendettement.

A ce titre, en cas d’externalisation immobilière à travers une cession, cette opération permettra de monétiser les biens immeubles en générant une trésorerie immédiate. Ainsi, les entreprises en quête de solutions de financement alternatives, pourraient envisager cette stratégie permettant d’améliorer certains ratios financiers (ratios d’endettement, de fonds propres et de productivité), d'accroître la trésorerie et d'améliorer la structure du bilan.

De même, en cas d’externalisation immobilière à travers un apport, cette opération permettra de financiariser le bilan en transformant un actif immeuble quasi non productif en un actif financier productif (titres représentatifs d’apport) générateur de dividendes.

S’agissant du bilan, il est plutôt positif et les bancassurances ont été les précurseurs. En effet, celles-ci ont engrangé entre 2019 et 2020, en franchise d’impôt, des plus-values conséquentes à travers des opérations d’apport de biens immeubles à des OPCI, bénéficiant ainsi des avantages fiscaux prévus par le régime dérogatoire temporaire précité.

L’impact était tel sur leurs comptes sociaux, que nous avons assisté à une augmentation considérable du total actif du fait de la transformation d’un actif immobilier ayant une valeur bilancielle historique en actif financier ayant une valeur actuelle. Aussi, nous avons noté une amélioration des performances globales de ces opérateurs suite à la réalisation de ces opérations et ce malgré le contexte économique particulièrement troublé.

- Nombreux sont ceux qui confondent encore "foncière de droit commun" et OPCI. Pourquoi opter pour l'une ou l'autre ?

Votre question est pertinente, car dans l’hypothèse ou un opérateur économique disposant d’un patrimoine immobilier dense et dilué, souhaite repenser sa stratégie immobilière en logeant ledit patrimoine dans une entité ad hoc, se pose ainsi la question de la nature de la structure d’accueil : foncière de droit commun ou OPCI ?

A mon avis, les deux options se valent. Sur un plan juridique, contrairement aux OPCI dont l’existence d’un cadre réglementaire spécifique (loi 70-14) les contraint à se conformer à certaines obligations strictes, notamment en matière d’objet social (acquisition ou construction des biens immeubles en vue de leur location à l’exclusion des opérations de promotion immobilière et de marchand de biens), de formalisme contraignant et de règles prudentielles du fait que ces organismes font appel public à l’épargne, les foncières ne jouissent d’aucun statut particulier et relèvent juridiquement des dispositions du droit commun.

Ainsi, dès lors que son cadre réglementaire ne l’interdit pas, la foncière de droit commun pourrait élargir son objet social à différentes activités immobilières, notamment la promotion immobilière et les activités de marchands de biens, ce qui n’est pas le cas de l’OPCI. En définitive, la foncière est un véhicule plus simple à manier avec une marge de manœuvre et une flexibilité non négligeables en terme de gestion.

Ceci dit, la foncière constituée aujourd’hui pour un besoin spécifique de portage du patrimoine immobilier professionnel dans le cadre d’une opération d’externalisation, pourrait servir à long terme de vecteur pour un nouvel axe stratégique immobilier et ce, en développant, à titre d’exemple, des activités de promotion immobilière, de lotisseurs ou de marchands de biens.

En revanche, sur un plan fiscal la balance penche plus vers le côté de l’OPCI réputé avoir une fiscalité « douce » représentée par le régime de transparence fiscale en vertu duquel, sont exonérées de l’IS, les activités se rapportant à son objet social, telles que définies par l’article premier de la loi 70-14. L’impôt est ainsi appréhendé entre les mains des porteurs de titres : Corolaire de la transparence fiscale.

En conséquence, si le but recherché à travers une opération d’externalisation immobilière, à court terme, est de séparer le patrimoine immobilier de l’entité opérationnelle et à moyen terme de développer un nouvel axe stratégique en relation avec d’autres activités immobilières en plus de la location, avec la structure d’accueil comme vecteur, le choix de la foncière semble ainsi irréfutable.

En revanche, si l’on souhaite à travers l’externalisation immobilière développer uniquement une activité de location de biens immeubles construits, l’OPCI nous semble plus adapté encore est-il, il faut être prêt à endosser la lourdeur de ce véhicule, notamment sur le plan juridique et les divers coûts supplémentaires à supporter : l’AMMC, l’établissement dépositaire, la société de gestion, les évaluateurs immobiliers et les commissaires aux comptes...

- Que reste-t-il à accomplir ou freins à lever pour que les OPCI connaissent un vrai engouement ?

Effectivement, les OPCI ont actuellement le vent en poupe, en témoigne le nombre d’OPCI agréés à date : 28 OPCI. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un véhicule naissant et dont le cadre réglementaire reste perfectible.

A ce titre, parmi les principaux freins sur un plan juridique, reste indéniablement la possibilité pour des foncières de droit commun, dont le fonctionnement est presque identique à un OPCI, d’obtenir l’agrément OPCI sans passer par la voie classique, celle de l’apport des actifs immobiliers à une nouvelle entité faisant figure d’OPCI et éventuellement la constitution d’une deuxième structure en la personne de la société de gestion, laquelle doit, être elle-même agréée, ce qui constitue en soi un processus long et onéreux.

En effet, l’article 100 de la loi cadre 70-14 relative aux OPCI permet à titre transitoire et pendant une durée de 3 ans à compter de la date de la publication de ladite loi au bulletin officiel, aux foncières ayant la forme de SA d’obtenir l’agrément d’OPCI-SPI (Société de Placement Immobilier) dans les conditions et selon les modalités prévues par la loi précitée. Or, du fait que le texte en langue arabe de ladite loi a été publiée dans l’édition générale du bulletin officiel en date du 19 Septembre 2016, la durée de 3 ans précitée pendant laquelle les foncières auraient pu procéder à une transformation en OPCI a déjà expiré.

Ainsi, mis à part cette disposition dont le délai d’application a d’ores et déjà expiré, il n’y a aucune disposition dérogatoire ou processus allégé prévus en faveur des foncières de droit commun existantes facilitant leur transformation en OPCI. Ainsi, une foncière de droit commun ne peut devenir un OPCI en l’état.

Sur un plan fiscal, le bénéfice du régime de transparence fiscale, est subordonné, notamment à la conservation d’au moins 10 ans des biens immeubles apportés à l’OPCI. A ce titre, le défaut de conservation des biens immeubles apportés pendant la période de 10 ans précitée, entrainerait la déchéance de la transparence fiscale et l’exigibilité de l’IS entre les mains de l’OPCI. A mon avis, il s’agit d’une durée assez longue et contraignante ne prenant pas en compte, notamment les cas de force majeure, la vétusté du bien et sa performance.

Aussi, pour bénéficier du sursis d’imposition au titre de la plus-value conséquente à l’apport des biens immeubles à l’OPCI prévu par le régime de dérogatoire temporaire prévu par l’article 247-XXVI précité, le transfert desdits biens doit être effectué avant le 31 décembre 2022. Ainsi, afin d’accompagner le développement de ce véhicule pendant cette période embryonnaire il serait judicieux de proroger cette disposition afin d’encourager les opérateurs économiques désireux de structurer leur patrimoine immobilier.

Sur un plan comptable, il est à noter l’absence de l’arrêté de l'autorité gouvernementale chargée des finances fixant les règles comptables de ce véhicule. En revanche, il s’agit d’un frein à relativiser car les 28 OPCI que nous comptons actuellement, travaillent avec une version très avancée du projet du plan comptable approuvée par leur commissaire aux comptes.

- En somme, pensez-vous qu'il faille créer un modèle "maroco-marocain" de l'OPCI ou bien seulement dupliquer ce qui a réussi ailleurs, et pourquoi ?

Avant de répondre à votre question faisons un petit tour d’horizon de la pierre papier (Placement financier ayant l’immobilier pour sous-jacent) dans le monde.

La pierre-papier s’est développée initialement aux Etats-Unis à partir des années 1960 sous l’appellation REIT « Real Estate Investment Trusts » pour se propager ensuite un peu partout dans le monde : A date, presque une quarantaine pays ont adopté le modèle REIT.

En France, le paysage pierre papier est composé de plusieurs véhicules d’investissement : Il y a les SCPI (Société Civile de Placement Immobilier) qui ont vu le jour en 1960, lesquelles font appel public à l’épargne sans pour autant être cotées en bourse. Les SIIC (Société d’Investissement Immobilier Coté) qui ont vu le jour en 2002, c’est ce qui s’apparentent le plus aux modèles REIT au niveau international. Celles-ci font appel public à l’épargne tout en étant coté en bourse contrairement aux SCPI. Puis, les OPCI qui ont vu le jour en 2004. Inspirés des OPCVM, ils se rapprochent certes, des SCPI du fait qu’ils ne sont pas côtés, mais à la différence de celles-ci dont le portefeuille ne peut contenir que des immeubles en direct, l’OPCI a une poche financière rendant ce véhicule plus liquide.A noter que le dénominateur commun entre ces véhicules est le régime de transparence fiscale : Pierre angulaire du modèle REIT.

Pour revenir au Maroc, notre expérience a été conduite de manière différente. Certes, pour des raisons historiques nous nous sommes inspirés de l’expérience française, mais nous n’avons pas dupliqué ce modèle. Pour reprendre votre expression, il s’agit déjà d’un modèle maroco-marocain.

En effet, si en France il n’y a pas moins de 3 véhicules d’investissement en pierre papier (SCPI, SIIC et OPCI), au Maroc nous n’avons que l’OPCI, lequel est régi par une seule loi cadre 70-14.

De même, en comparaison avec l’OPCI français, ils subsistent plusieurs différences entre les deux véhicules sur les plans juridique et fiscal (e.g. possibilité de cotation, conditions de déchéance de la transparence fiscale…) ; Lesquelles différences tiennent au fait notamment, des spécificités du secteur immobilier marocain et du contexte d’introduction dudit véhicule : Crise avérée du secteur immobilier, difficultés rencontrées par le marché boursier…

*Présentation du parcours professionnel de Youssef SALIHI (Extrait) :

Youssef SALIHI est Expert-Comptable diplômé, Founding Partner du cabinet Audexal. Il dispose d’une expérience probante de plus de 10 ans dans les métiers de l’audit et du conseil, acquise essentiellement au sein de cabinets internationaux. Il est enseignant vacataire, formateur professionnel et conférencier. Spécialisé dans les OPCI et les problématiques immobilières depuis son mémoire d’expertise comptable, il a animé plusieurs formations et séminaires et écrit de nombreux articles sur le sujet.