Organiser efficacement une succession immobilière au Maroc, comment et avec qui




Par maître Jad ABOULACHBAL, notaire à Casablanca

Le droit applicable aux successions immobilières au Maroc est divers et complexe. En effet, coexistent des régimes fonciers différents ainsi que des règles successorales variées, inspirés de l’Islam mais aussi de droits étrangers. En maitriser les fondamentaux est une nécessité pour tout détenteur, qu’il soit Marocain ou non, d’un patrimoine immobilier, afin d’en préparer au mieux, pour sa mort ou de son vivant, la transmission. Si certains principes sont intangibles, d’autres en revanche pourront être amenés à évoluer afin de sécuriser la dévolution en cas de décès et de rendre plus fluide le mécanisme d’attribution au profit des héritiers.

Un droit foncier pluriel

L’on parle de bien immobilier qu'il s'agisse indifféremment d'un terrain nu, d'une maison, d'un appartement ou d'un bâtiment de plusieurs étages. Mais le droit foncier n’est pas le même dans l’ensemble du pays. La grande majorité des immeubles relève du système des titres fonciers, avec pour conséquence pratique l’immatriculation de l’immeuble à la conservation foncière. C'est-à-dire son individualisation à partir d’un numéro, d’une dénomination qui lui est propre et d’un contenu qui fait état de sa désignation et des détenteurs de droits successifs sur celui-ci.

Cependant, certains immeubles, qualifiés de « melk », sont encore assujettis à un droit immobilier traditionnel. Celui-ci ne faisant, à la différence de l’autre, l’objet d’aucune publicité foncière. La raison en est que le Protectorat français du Maroc qui a introduit en 1913 le régime des livres fonciers, fondé sur d’autres principes que ceux de son droit immobilier puisque d’inspiration australienne, en avait prévu la mise en œuvre progressive. Et cela, en substituant au régime traditionnel antérieur celui nouvellement adopté, à la condition que le titulaire d’un droit sur le bien immobilier « melk » demande à l’administration foncière son immatriculation. Le caractère facultatif de cette dernière, explique que de nombreux immeubles, terres rurales notamment, ne se voit  toujours pas appliquer le droit moderne. Cette absence d’homogénéité foncière est renforcée par la procédure d’immatriculation en elle-même, qui a pour conséquence de faire échapper l’immeuble à la stricte application du droit traditionnel sans le soumettre encore au droit des immeubles immatriculés pendant la période allant jusqu’à l établissement du titre foncier définitif. Créant de fait un autre régime, hybride et transitoire, applicable aux seuls biens faisant l’objet d’une réquisition d’immatriculation foncière.

Ces corps de règles différents, s’ils existent sur le même territoire, ne se chevauchent cependant pas. Ainsi, un bien immatriculé relèvera exclusivement du droit moderne et un bien non immatriculé du seul droit traditionnel jusqu’à l’entame d’une procédure d’immatriculation foncière. Malgré tout, il nous faut préciser que les immeubles marocains, sans exception, ont toujours un ou plusieurs propriétaires, qu’ils peuvent tous être vendus, échangés, donnés ou faire l’objet d’une dévolution successorale. Il n’existe donc pas d’obstacle de principe à la transmission du patrimoine immobilier à ses héritiers si l’on décède et cela, quelque soit le droit foncier dont relève l’immeuble. Simplement la mise en œuvre pratique de la succession ne sera pas la même selon que le bien est titré ou non à la conservation foncière.

Ainsi pour les biens immatriculés, la mise à jour du titre foncier est une nécessité pour les ayants droit qui veulent pouvoir disposer de l’immeuble,même s’ils sont juridiquement propriétaires du seul fait du décès de celui ou de ceux dont ils héritent. En effet, la conservation foncière tant que la dévolution successorale n’aura pas été régulièrement inscrite sur le titre foncier, ignorera les droits des héritiers, refusera de constater une quelconque opération de ceux ci sur l’immeuble et continuera de délivrer des certificats de propriété au nom du défunt. Cette inscription étant conditionnée à la validation de l’acte d’hérédité constatant la succession et les droits des héritiers, quand à la forme et quand au fond par le conservateur foncier.

En revanche, en cas de succession portant sur un immeuble non immatriculé, si la transmission de propriété se fait toujours à l’instant du décès, le seul établissement d’un acte d’hérédité est suffisant pour opposer celle-ci aux tiers, contrairement au droit moderne. Ce formalisme restreint se justifie par l’absence de publicité foncière mais ne peut être déconnecté d’une problématique pesante. A savoir, le risque important de méconnaissance par les tiers et parfois par les ayants droit de l’immeuble concerné, de sa situation,de sa consistance, de ses limites, de la nature et de l’étendue de droits qui s’y exercent ainsi que de leurs véritables détenteurs. Cette situation incertaine ne pouvant être dépassée que par l’immatriculation foncière et donc par le dépôt d’une réquisition en ce sens. Pour ce motif, l’on ne peut qu’inviter le propriétaire d’un tel bien à préparer au mieux sa succession en accomplissant cette démarche administrative.

Dans l’hypothèse cette fois, où le bien objet de la dévolution successorale se trouverait être en cours d’immatriculation, il est fondamental que l’acte d’hérédité soit transmis à la conservation foncière pour qu’au terme de la procédure, les droits des héritiers soient inscrits sur le titre foncier nouvellement créé.

Un droit successoral consacrant l’application de la loi nationale du défunt

Le Maroc soumet la succession de ses nationaux soit au droit musulman soit au droit hébraïque s’ils sont juifs. Un Marocain, dont la succession est ouverte, relève donc obligatoirement de l’un de ces deux droits religieux, et cela quelque soit sa domiciliation, pour ce qui est de la détermination de ses héritiers et de leur quote-part, quant il s’agit de l’attribution de son patrimoine immobilier marocain. Il est en outre toujours présumé juridiquement de confession musulmane et seul peut être admis le judaïsme du défunt pour justifier que l’on écarte l’application de l’Islam à cette question. Pour ce qui est des Marocains ayant une autre nationalité, il n’est absolument pas tenu compte de cette dernière et ils relèvent exclusivement du droit local conformément au principe précédemment énoncé. Lorsqu’il s’agit de la succession d’un étranger, l’article 18 du Dahir sur la condition civile des étrangers au Maroc pose la compétence de la loi nationale du défunt en ce qui concerne la désignation des successibles, l’ordre dans lequel ils sont appelés, les parts qui leur sont attribuées, les rapports, la quotité disponible et la réserve. Cependant celle-ci doit être écartée si l’étranger est de confession musulmane.

Ce cadre général traduit la volonté du Maroc, pays appartenant à la communauté musulmane, d’appliquer aux Marocains comme aux étrangers musulmans le droit successoral Coranique en posant un privilège de religion en faveur du seul Islam. Tout en respectant pour la communauté juive marocaine son droit confessionnel et pour tous les étrangers non musulmans, leur loi nationale en la faisant primer sur une loi inspirée par une religion qui n’est pas la leur.

Il est dès lors très important de noter que l’article 332 du Code de la famille marocain énonce qu’ « il n y a pas de vocation successorale entre un musulman et un non musulman ». Cela implique par principe, que lors de la succession d’un musulman, et cela quelque soit sa nationalité, aucun non musulman ne peut hériter de lui au Maroc. En sens inverse, si la succession concerne un non musulman et cela même si la loi étrangère désignée par la règle de conflit marocaine ne pose pas de prohibitions successorales entre personnes de confessions différentes, la majorité de la doctrine prône que l’on écarte systématiquement les musulmans de cette succession malgré le fait que cette loi ne le fasse pas. Conférant ainsi implicitement un caractère d’ordre public international à cet article 332 auquel aucune loi étrangère ne semble pouvoir déroger.

Sur le plan formel, l’acte constatant la succession d’un musulman marocain ou étranger doit impérativement être reçu en la forme adoulaire par deux adouls, celui constatant celle d’un Marocain juif par le juge-rabbin d’une chambre rabbinique d’un tribunal marocain. Seuls les actes relatifs à la succession d’étrangers non musulmans et en désignant les héritiers conformément aux règles de dévolution de la loi de nationalité du défunt peuvent être reçus par un notaire marocain. Ou accessoirement par un notaire étranger si le tribunal marocain rend cet acte exécutoire au Maroc au terme d’une procédure d’exequatur.  Enfin l’aspect fiscal se doit d’être évoqué puisque le Maroc ne taxe pas les héritages. Echappe donc à l’impôt, la succession immobilière dès lors qu’elle revêt un caractère exclusivement marocain. En revanche, lorsqu’elle présente une dimension internationale, comme par exemple la nationalité étrangère ou la domiciliation hors Maroc du défunt ou des héritiers, il convient d’interroger le droit fiscal de ces autres Etats et les éventuelles conventions fiscales unissant le Maroc à ceux-ci pour savoir de quelle fiscalité l’héritier est le contribuable

Droit des successions et patrimoine immobilier d’une société

Lorsqu’une société est propriétaire d’un bien immobilier, ce qui est permis quelque soit le régime foncier dont relève l’immeuble, la succession en cas de décès d’un associé portera sur les parts sociales ou actions détenues par le défunt. La société reste ainsi propriétaire du bien, mais les détenteurs du capital social changent. La dévolution doit se faire dans le respect du droit des sociétés mais aussi des clauses statutaires de la société dont l’associé ou l’actionnaire est décédé.  Ainsi, si les statuts prévoient expressément que les héritiers doivent être agréés par la société pour devenir à leur tour associés et que cet agrément est refusé à l’héritier ou aux héritiers, la société, les associés ou un tiers désigné devront racheter les parts héritées sur la base de la valeur réelle de la part sociale ou de l’action sans que les héritiers aient la moindre faculté de s’opposer à la cession.Mais ils garderont cependant le droit de contester le montant du prix de cession à leur délivrer et pourront même réclamer une expertise pour étayer cette contestation. Si le défunt est aussi dirigeant, cette qualité n’est pas transmise à ses héritiers et il faudra procéder à la désignation du nouveau gérant, une fois sa mort constatée, selon les règles de majorité de la société avec l’ensemble des associés tels qu’ils ont cette qualité après le décès de l’associé. C'est-à-dire les associés qui l’étaient antérieurement au décès et ceux qui le sont devenus au terme de la succession ou du rachat en cas de non agrément des héritiers.

Quand l’immeuble détenu est immatriculé, il est en outre constitué, distinctement du titre foncier, un dossier spécial au nom de la société à la conservation foncière. Véritable biographie de celle-ci, il doit être mis à jour en cas de succession portant sur les actions ou parts sociales indépendamment des formalités auprès du tribunal de commerce pour les sociétés commerciales ou du tribunal de première instance pour les sociétés civiles. Ainsi, le fonctionnement de la société détentrice du patrimoine immobilier immatriculé est paralysé, tant que la mise à jour du dossier spécial n’est pas effectuée au niveau de la conservation foncière, pour toute opération sur le titre foncier.Car l’identité des dirigeants, l’actualité de leurs pouvoirs ainsi que les détenteurs du capital social ne sont connus par le conservateur foncier que par rapport à ce dossier spécial. Et son contrôle de la validité de l’opération immobilière accomplie par la société se fait par rapport au dossier spécial et au titre foncier. Cet état de fait invite à faire deux remarques. La première est que la dévolution successorale doit être constatée doublement. D’abord auprès du tribunal dont relève la société mais aussi auprès de la conservation foncière. La seconde est que les cas de successions complexes sont de nature à ralentir fortement la fluidité des transactions immobilières car tant que le dossier spécial n’est pas mis à jour, le titre foncier est indisponible. La responsabilité qui pèse sur la conservation foncière est donc écrasante lorsque d’actes de cessions en actes successoraux multiples elle doit se prononcer sur la validité d’un droit invoqué par exemples sur les actions d’une société anonyme,bien que par principe la caractéristique d’une telle société soit d’offrir l’anonymat aux actionnaires, ou sur celui invoqué sur les parts sociales d’une société civile qui n’est immatriculée nulle part.

Aménager la transmission immobilière de son vivant

Il est cependant possible d’établir un testament afin de désigner ses futurs ayants droit. Cet acte juridique unilatéral qui émane du seul testateur, et donc du futur défunt, produira ses effets uniquement à compter de sa mort. Mais il doit être fait dans le strict respect des droits de disposition reconnus par la loi compétente à la succession telle que déterminée précédemment. De nombreux droits, dont le droit musulman, ne conférant pas une liberté totale en la matière, il est fortement conseillé de recourir au service d’un expert de ces questions avant de prendre des dispositions pour cause de mort, sous peine que l’acte pour non respect des conditions de fond ou de forme soit frappé de nullité. Le testament s’inscrit dans la logique successorale stricte puisque sa fonction est de désigner les légataires après la mort et d’apporter d’éventuels changements à l’ordre successoral légal dans le respect de ce qui n’est pas formellement interdit par la loi. Ainsi la validité d’un testament émanant d’un Marocain musulman ou d’un étranger musulman est encadrée par le droit musulman pour produire effet au Maroc. Celle concernant le testament d’un étranger qui n’est pas de cette confession religieuse par sa loi nationale.

Cela est donc très différent de la donation immobilière. En effet, celle ci consiste à se déposséder de son vivant à titre gratuit d’un bien au profit d’une personne déterminée, ou de plusieurs, qui l’accepte expressément aux termes d’un acte signé par le donateur, celui qui donne, et par le donataire, celui qui reçoit. Elle doit impérativement revêtir la forme authentique, pour être valable, dès lors que l’immeuble est immatriculé. Le notaire marocain est à ce titre habilité à la recevoir. Pour les immeubles non titrés fort logiquement le formalisme est moins strict.La donation est un acte grave. Elle peut être, dans certaines circonstances, révocable, c'est-à-dire annulable, et dans d’autres non. Elle peut porter sur la pleine propriété de l’immeuble ou simplement sur l’usufruit ou la nue propriété. L’usufruit conférant l’usage et la jouissance du bien, la nue propriété la disposition. Le droit foncier moderne marocain reconnaissant, en effet, la faculté de démembrer la propriété. Mais là encore, la faculté de donner peut être limitée par le droit successoral applicable, lorsque celui-ci offre aux héritiers réservataires, c'est-à-dire aux héritiers ayant vocation à recevoir obligatoirement une part de l’héritage, la faculté dans le cadre d’une action en réduction de faire annuler une donation qui aurait porté atteinte à leur réserve héréditaire.

Vers une évolution des droits en vigueur ?

On le voit, préparer sa succession immobilière au Maroc implique de tenir compte de plusieurs aspects.

1/ Le droit foncier d’abord. En intégrant impérativement l’idée que l’absence de titre foncier est un risque. Dans cette hypothèse, l’étendue du patrimoine immobilier transmis n’est pas toujours connue et comme le droit traditionnel marocain ignore la publicité foncière, mais connait la prescription acquisitive, c'est-à-dire le fait de pouvoir devenir propriétaire par une possession paisible et publique de plus de dix ans opposable aux héritiers légitimes, le risque est d’être pour eux légalement dépossédés de la succession. Leur droit de propriété étant irrémédiablement perdu du fait de l’écoulement d’un certain délai.

Quand le bien est immatriculé c’est la mise à jour du titre foncier qui est fondamentale et qui peut, dans certaines circonstances, s’avérer problématique. La prescription acquisitive  n’existant pas en droit moderne, il est impossible de disposer de son bien si l’on ne justifie pas auprès de la conservation foncière de sa qualité d’héritier. C’est pour cette raison que de nombreux bien titrés, encore au nom d’un défunt sont aujourd’hui indisponibles et, même s’ils sont occupés depuis des décennies, qu’ils ne peuvent devenir la propriété des occupants.

2/ Le droit successoral ensuite. Le mode de détermination de la loi compétente doit être connu par tout propriétaire immobilier. Il est le produit de l’histoire mais aussi du caractère structurant et sacré de l’Islam dans la société marocaine. Il n’est dès lors pas envisageable de le modifier. En revanche continuer à écarter la compétence notariale en matière de successions de musulmans ne semble pas pertinent. Cela pouvait apparaitre logique quand les notaires institués par le Dahir de 1925 étaient impérativement de nationalité française. Le Maroc étant indépendant et ses notaires tous Marocains, il nous parait désormais utile de reconnaitre à ceux-ci le droit d’établir un acte constatant la succession d’un  musulman qui est tout de même aussi leur coreligionnaire. Cela aurait pour effet premier de favoriser le règlement rapide des successions immobilières auprès de la conservation foncière dont la charge pourrait être ainsi confiée au notaire. Et  pour ce qui concerne les Marocains résidant à l’étranger, qui sont tout de même plus de cinq millions et sont parfois concernés par des successions internationales complexes, cela leur permettrait de recourir aux services d’un notaire, que tous les ordres juridiques internationaux reconnaissent, plutôt qu’à ceux d’un adoul dont ils ne savent pas toujours quel est le rôle réel et dont la plupart des praticiens étrangers de ces questions ne connaissent pas même l’existence. Ce qui, évidemment, rend extrêmement difficile la gestion de ces différents cas où il est souvent nécessaire de jouer un rôle d’interface avec les notaires étrangers pour expliciter et garantir les droits de nos compatriotes hors de nos frontières. 3/ Le droit des sociétés enfin, si le patrimoine immobilier est détenu par une société. A ce titre, précisons qu’il peut paraitre regrettable lorsque le ou les biens immobiliers détenus par une société sont immatriculés à la conservation foncière, que la forme authentique ne soit toujours pas formellement imposée pour les actes inscriptibles sur le dossier spécial de cette société. Cette anomalie devrait être corrigée, car un acte ayant date certaine, force probante et engageant la responsabilité de son rédacteur, qui sont les effets de l’acte notarié, est un ferment de sécurité. Les spoliations, les malversations diverses et variées ont été amplifiées du fait de la longue reconnaissance par notre droit foncier de l’acte sous seing privé. Ce temps est révolu pour les immeubles immatriculés puisque le code des droits réels actuellement en vigueur l’a, heureusement, formellement écarté. La prochaine étape devrait être, espérons le, d’imposer ce formalisme aux dossiers spéciaux de société ouverts à la conservation foncière.

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