Duplicata du titre foncier : l’heure a-t-elle sonné pour sa dématérialisation ?




Par Hicham BESRI, juriste en droit immobilier et Cadre supérieur au sein de l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie (direction de la conservation foncière à Rabat).

Dans le cadre d’une amélioration continue des indicateurs de la production foncière, et de la qualité des services offerts aux usagers de l’ANCFCC, entreprise dans un contexte national et international difficile, marqué par une situation épidémiologique instable et inquiétante dû au Covid 19, l’accélération de la digitalisation des procédures et des services fonciers est devenue une visée prioritaire pour les instances de l’Agence, qui a  mis à exécution une batterie de mesures digitales, dont les effets ont été largement perceptible tant au niveau de l’organisation et de la gestion de ses services extérieurs, que chez ses usagers professionnels et grand publics.

Cercle vertueux de la digitalisation chez l’ANCFCC

La digitalisation intégrale des dépôts des formalités inscriptibles sur les livres fonciers, à partir d’une plateforme transactionnelle, est un vrai exploit -entre autres réalisations digitales-  dont l’ANCFCC peut s’enorgueillir. Cette action a été inscrite à travers  son premier partenariat tissé avec le Conseil national de l’ordre des notaires du Maroc.

Désormais, aussi bien les dépôts des affaires notariées, leur traitement, et leur paiement sont réalisés à distance par voie électronique.

Un vrai succès, qui a poussé l’ANCFCC, depuis le 15 septembre 2021, à concrétiser encore plus cet élan numérique en supprimant définitivement l’opération du dépôt physique des documents, à condition qu’ils soient revêtus de la signature électronique des notaires. Une fois l’affaire clôturée, le notaire passe au paiement en ligne et les documents y afférent transmis sur support électronique, sont archivés électroniquement dans  la base de données documentaire de l’Agence. Mais comment pourrait-on effectuer un dépôt en ligne, d’une formalité dépendant d’un duplicata retiré à déposer ou dépendant d’un duplicata perdu ou volé ou détérioré ?

L’exception de la formalité assortie de la remise du duplicata

L’exigence de dépôt du duplicata est une règle basique et condition légale de fond pour toute formalité déposée au niveau de la Conservation foncière lorsque l’acte est conventionnel, ce qui est souvent le cas pour les formalités notariales.

Faut-il rappeler qu’un traitement de faveur est octroyé pour les notaires déposants, en ne leur exigeant aucun dépôt au préalable du duplicata, à charge de déclarer sa possession en ligne. Mais le déblocage du paiement d’une formalité notariale restera toujours tributaire du dépôt physique du duplicata retiré.

La place privilégiée du duplicata dans le système marocain de la publicité réelle

Véritable droit à une copie du titre foncier pour information sur les droits et charges grevant l’immeuble, le duplicata bénéficie d’une adhésion psychologique sécuritaire par l’ensemble des propriétaires à ce second titre foncier.

Le duplicata est toujours considéré comme un rempart contre la spoliation, du moment où aucune inscription d’une formalité conventionnelle ne peut être opérée sans la remise du duplicata. Le titulaire du droit réel est ainsi assuré dans son droit de propriété qui l’oppose légitimement aux tiers.

Il remplit aussi une fonction de renseignement pour quiconque cherchant à acheter une propriété immatriculée. Le duplicata servait en son temps, et vu l’éloignement des services de la Conservation foncière, à rédiger les actes translatifs de propriété sans besoin de certificat, en se basant seulement sur ses énonciations.

Il y a unanimité quant à la place privilégiée que joue le duplicata dans les mécanismes de la publicité foncière. Plusieurs règles de gestions ont été instituées autour du duplicata par le législateur (Dahir du 12 aout 1913 sur l’immatriculation foncière) :

- Le droit au duplicata est garanti à tout propriétaire ou copropriétaire (art. 58)

- Une mise à jour concomitante pour concordance du duplicata au titre foncier (art. 60et 88)

- Refus du dépôt d’une formalité conventionnelle à défaut de produire le duplicata (art. 89)

- Notification au tiers détenteur pour dépôt du duplicata sous peine de perte de toute valeur (art.89)

- Responsabilité personnelle du conservateur foncier relativement aux manquements à la conformité du duplicata (art. 97)

- Règles drastiques et contraignantes pour tout détenteur ayant perdu son duplicata, et désirant se procurer un autre (art. 101 ; 102 et 103)

Les complexités relatives à l’emploi du duplicata

Malgré l’assouplissement partiel limité aux dépôts en ligne des notaires, le duplicata conçu et géré toujours physiquement laisse subsister au quotidien d’énormes problèmes, lourdeurs et même entraves à l’aboutissement d’une inscription réussie sur les livres fonciers.

Le cas éloquent est celui de la perte ou le vol du duplicata qui implique un engagement personnel du client ou à défaut toute personne mandatée à l’effet de demander un nouveau duplicata. Cette formalité qui est aussi appliquée in extremis lorsque le dépositaire copropriétaire  est récalcitrant et aussi lorsqu’il s’agit de formalités de mutations forcées, est caractérisée par sa longueur procédurale du dépôt de la demande assortie de nombreuses pièces justificatives jusqu’à l’expiration de 15 jours après la publication au Bulletin officiel de ladite requête. La délivrance du nouveau duplicata est conditionnée par l’absence d’opposition à sa remise par un tiers revendiquant.

A rappeler aussi que dans un titre foncier où la propriété est en  indivision, de nouvelles inscriptions des actes conventionnels touchants aux droits des co-indivisaires  pourraient se succéder sur ce titre, à condition de mettre en demeure le co-indivisaire dépositaire du duplicata pour sa remise.

Encore faut-il s’interroger sur les difficultés pratiques rencontrées au niveau de la notification de ce détenteur, surtout sur le délai de 20 jours calculé à partir de l’inscription et non à partir de la notification ? Également, sur l’effet réel de la perte de toute valeur  affectant tout duplicata non déposé en se basant sur une publicité locale et non au Bulletin officiel ?

Face à ces constats, comment pourrait-on rallier le besoin d’assurer des services dématérialisés à distance, et en même temps répondre aux exigences légales de la remise d’un duplicata retiré qui peut poser des problèmes d’indisponibilité ?

La question porte son intérêt non seulement pour les notaires, mais aussi pour tous les déposants, du moment que l’Agence projette de généraliser les dépôts électroniques aux autres usagers.

Le duplicata électronique une alternative retenue aux multiples vertus

La loi 14-07 réformatrice du Dahir organique du 12 aout 1913 sur l’immatriculation foncière  a eu le mérite de baliser le chemin vers la dématérialisation des opérations et des procédures d’immatriculation foncière à travers l’article 106 qui dispose : « l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie peut établir, par procédés électroniques, les réquisitions d’immatriculation, les titres fonciers et leurs duplicatas, les certificats spéciaux d’inscription et les registres mentionnés dans la présente loi, et ce, dans les conditions et formes fixées par voie réglementaire. »

Aujourd’hui, le  décret applicatif projeté par la loi susvisé est entré en vigueur de façon progressive depuis le 24 décembre 2018 pour fixer les conditions et les modalités de la gestion électronique des opérations d’immatriculation foncière et des services y afférents (art. 3). La mise en œuvre progressive de ces prestations a été soumise à la prise de décision par le Directeur de l’Agence (art. 39).

Parmi ces services, on retrouve le duplicata électronique qui a été prévu par le texte réglementaire sans pour autant détailler les modalités de sa conception et de son emploi, laissées à la discrétion du Directeur de l’Ancfcc.

Le législateur n’aurait pas institué cette nouvelle forme du duplicata s’il n’avait pas été convaincu des vertus de cette dématérialisation que nous citons comme suit :

- Assurer un flux entièrement électronique avec le service de la Conservation  foncière depuis le dépôt sur la plateforme jusqu’au  paiement en ligne.

- Optimiser la mise à jour du duplicata concomitamment à celle du titre foncier, revitalisant ainsi le duplicata dans son premier rôle d’information. -Gain de temps consommé dans la préparation du duplicata en redirigeant les agents vers d’autres tâches du service.

- Gain de temps pour les usagers demandeurs du duplicata.

- Surseoir aux complexités de la procédure classique de remise du duplicata qui requiert une procuration des copropriétaires en cas d’indivision à l’un des leurs.

- Surseoir à toutes les difficultés liées à la survenance de risques liés au duplicata (vol, perte, détérioration, abstention de dépôt pour mise à jour, mutations forcées..) et qui justifient la délivrance d’un nouveau duplicata ce qui rallonge les procédures d’inscription. La dématérialisation de ce document laissera sans objet cette procédure.

Malgré les avantages et gains à tirer de l’emploi des duplicatas électroniques, leur mise en application exige au préalable des prérequis à remplir avant de de signer une décision d’entrée en vigueur.

C’est la raison pour laquelle, le décret en application n° 2.18.181  du 10 décembre 2018 a prévu une procédure simplifiée et transitoire consistant à offrir le service en ligne de la délivrance de duplicata ou de nouveau duplicata suivant une procédure certes déclenché électroniquement, mais qui requiert le dépôt physique ultérieur de documents justificatifs, et/ou de se présenter au service concerné pour le retirer physiquement (art. 21 et 22).

Mais notons qu’à ce jour, aucune décision n’est intervenue pour mettre en application cette prestation en ligne, certainement pour le motif de vouloir engager une procédure  intégralement digitalisée du duplicata de type « électronique » capable à elle seule, de redorer le blason d’un emblème mythique du système foncier marocain.

Il est donc intéressant et légitime de prévoir dans une étude séparée, de creuser davantage les préalables indispensables à l’adoption d’un duplicata électronique en guise de continuation sur ce travail d'exploration du duplicata et son avenir numérique.

Le 5 Novembre 2021