L’acte notarié marocain à l’heure du défi technologique




Par maître Jad ABOULACHBAL, notaire à Casablanca

La crise actuelle bouleverse notre société. Dans tous les domaines des changements s’opèrent. Nécessitant esprit d’adaptation et d’initiative. Le notariat se trouve lui aussi confronté à de profondes mutations. Les outils électroniques doivent être appréhendés comme un instrument de sa modernisation

En respect de l’état d’urgence sanitaire et sur instructions de leur conseil national les études notariales ont du fermer pendant plusieurs semaines. Seuls quelques dossiers ont pu être traités durant cette période. Mais l’interruption de l’activité a eu un effet paradoxal. Mettre en évidence pour des pans entiers de l’économie nationale l importance du rôle du notaire. En effet, ce dernier reçoit sous sa responsabilité les actes auxquels la loi impose le caractère d'authenticité attachée aux actes de l'autorité publique ou encore ceux auxquels les parties veulent donner ce caractère.

Les caractères de l’acte notarié

L’acte notarié a donc date certaine et force probante. Ce qui signifie qu’il fait foi de la ou des dates qui y sont mentionnées et plus généralement de son contenu s’agissant des éléments constatés par le notaire. Il offre ainsi des garanties en matière de sécurité que ne peut offrir un acte sous signatures privées conclu entre les seules parties au contrat.

Cette sécurisation renforcée est assurée par le concours du notaire agissant en tant que tiers de confiance. Ce dernier explicite aux parties la portée de leurs obligations contractuelles afin qu’elles aient une idée claire de ce à quoi elles s’engagent. Il veille également  à la parfaite mise en forme juridique de leur volonté, ce qui réduit le risque de conclure des contrats irréguliers pour cause de méconnaissance du droit applicable.

Les impératifs fonciers marocains

Pour ce motif, tout acte constitutif d’un droit sur un bien immobilier titré à la conservation foncière doit en vertu de l’article 4 de la loi 39-08, portant code des droits réels, impérativement revêtir la forme authentique (c'est-à-dire notarié ou adoulaire) ou bien être reçu par un avocat agrée près de la cour de cassation.

En conséquence, pendant cette période de clôture, de nombreuses opérations ont du être reportées. Il en est ainsi des ventes, donations ou échanges immobiliers. Mais aussi des constitutions d hypothèques, suretés réelles qu’un créancier prend sur un immeuble et qui sont très fréquemment réclamées par les banques afin de garantir au mieux le remboursement du prêt qu’elles consentent. Promoteurs, agents immobiliers, banquiers et plus généralement tout les acteurs de la vie économique ayant besoin d’accéder au crédit bancaire ont constaté leur extrême difficulté, voire leur impossibilité, à poursuivre leur propre activité sans un notariat actif. Sur ordre et sous le contrôle des pouvoirs publics, la réouverture des études notariales ne peut malgré tout se faire que dans le respect de règles sanitaires strictes afin de protéger de manière optimale l’ensemble du personnel des offices et les clients.

Un rôle de coopération avec les administrations

Il nous faut cependant rappeler que le notaire, s’il a le droit d’exercer, n’est pas en mesure d’agir, et c’est heureux, sans le concours de l’administration. Il ne peut procéder seul à l’enregistrement des actes auprès de la direction générale des impôts. Ni faire produire effet à une vente immobilière sans la validation formelle de la conservation foncière. Ni rendre opposable aux tiers une opération sur une société ou sur un fonds de commerce sans l’inscription de celle ci au registre de commerce. Acteur essentiel, il s’inscrit malgré tout dans un collectif qui a ses règles légitimes auxquelles il doit se soumettre. Le confinement d’une frange massive de la population marocaine, pour des impératifs de santé publique, a mis en lumière notre extrême dépendance à la mobilité humaine. Cela invite à la réflexion quant aux pistes à emprunter pour la réduire. L’électronique en permettant la numérisation des services fiscaux et fonciers et peut être demain l’établissement d’un acte notarié à distance peut aider dans la poursuite de cet objectif

Le processus de numérisation

L’un des aspects de la numérisation consiste à convertir les documents physiques en fichiers informatiques transmissibles par voie électronique auprès des administrations compétentes.

Tout acte notarié donne lieu au paiement de droits d’enregistrement auprès de la Direction Générale des Impôts. La quasi-totalité de ces actes est aujourd’hui enregistrée très rapidement par voie numérique et les droits dus sont acquittés par un mode de paiement électronique. Le travail conjugué de l’administration fiscale et des notaires a permis de réduire fortement les délais de traitement de ces formalités. Reste l’enregistrement portant sur des opérations peu courantes, et très minoritaires, qui elles ne peuvent être accomplies par internet et dont on espère qu’elles pourront l’être rapidement.

Pour ce qui est des formalités auprès de la conservation foncière la numérisation est là encore  devenue une réalité. Mais l’essentiel des dépôts se fait toujours physiquement. De plus la complexité des dossiers nécessite souvent un contact humain avec cette administration. Le paiement des droits est lui effectué de manière électronique et la délivrance des certificats de propriété l’est par internet. Simplement la certification matérielle du contenu de ce certificat, qui atteste de la part de la conservation foncière de tout droit portant sur le titre foncier, doit encore être établie physiquement par un de ses fonctionnaires. On imagine que le choc actuel incitera à une accélération de la numérisation en concertation avec le notariat qui est le médium naturel entre la conservation foncière et l’usager. La mise à jour des dossiers spéciaux de société détenant un droit réel sur un bien immobilier en qualité notamment de propriétaire ou de créancier hypothécaire sera l’un des grands défis à relever pour la conservation foncière et les notaires.

Le notariat, en lui-même, est aussi concerné puisque la profession, sous l’impulsion de son ordre national, a entamé un processus de numérisation de ses actes afin de s’autonomiser des seules archives papiers. L’acte notarié est, à ce jour, signé manuellement par toutes les parties puis par le notaire. Il n’existe qu’un seul original appelé « la minute » qui reste consignée à l’étude. Le notaire délivrant aux clients et aux administrations des copies dont le contenu est conforme à cette minute. Peut être devra-t-on envisager à terme un acte notarié sur support électronique. Le notaire préparait l’acte sur un logiciel de rédaction dédié à cet effet, permettant, au moment du rendez-vous pour les signatures en son office, de le présenter aux parties sur écran. Une fois le contenu validé, l’acte serait présenté sur une tablette pour être signé électroniquement par tous. La signature du notaire conférerait l’authenticité de l’acte qui pourrait être envoyé automatiquement et instantanément auprès d’un « minutier central » dédié à l’archivage numérique des actes notariés.

 

Vers un acte notarié à distance ?

Les nouveautés technologiques pourraient aussi permettre l’établissement par le notaire marocain d’un acte sur support électronique lorsque l’une ou toutes les parties à l'acte ne seraient ni présentes ni représentées. L'échange des informations nécessaires à son établissement et le recueil par le notaire du consentement ou de la déclaration de chaque partie seraient rendues possibles au moyen d'un système de communication par visioconférence et de transmission de l'information devant garantir l'identification des parties, l'intégrité et la confidentialité du contenu.

Il faut cependant rappeler que l’article 12 de la loi n°32-09 qui régit la profession notariale interdit au notaire « de recevoir les actes et les signatures des parties en dehors de son étude » sauf « sur autorisation du président du conseil régional, après avoir informé le procureur général du Roi » en cas de circonstances exceptionnelles. Article dont la rédaction actuelle est peu compatible avec l’acte à distance. A ce jour une personne qui n’est pas en mesure de venir signer chez le notaire a donc pour unique possibilité de donner une procuration à son mandataire pour qu’il puisse signer à sa place.

Si la loi est stricte en la matière c’est que les obligations résultant d’un acte notarié sont souvent très lourdes pour les parties et que le notaire dans une relation directe, en face à face avec elles, est en mesure de s’assurer de leur consentement et de leur capacité. Ce contrôle qui est l une de ses missions va au-delà de la seule fonction de certificateur de signature. Il permet en outre de désamorcer les risques de contentieux potentiels. Cela semble, dès lors, justifier que la norme demeure encore pour un certain temps la réception physique des parties dans les études notariales.

On le comprend, seul un outil technologique d’une fiabilité absolue est de nature à se substituer au système actuel. La moindre faille décrédibiliserait l’acte notarié en général et aurait des conséquences néfastes pour le système foncier moderne dont il est devenu, loi après loi, l’une des bases. Voila pourquoi, si l’établissement de l acte à distance était rendu possible, son usage devrait sans doute être dans un premier temps strictement limité à certaines circonstances exceptionnelles afin d’en mesurer les résultats pratiques et les dangers concrets et ce, selon des modalités techniques prise en parfaite concertation avec l’Ordre des Notaires.

Qu’il s’agisse d’établir un acte sur support électronique en présence des parties ou d’un acte à distance, une mise à niveau informatique de l’ensemble des études notariales devra être  organisée en amont. Et dont le coût devra être évalué rationnellement pour que dans l’intérêt de tous, études notariales et usagers, il puisse être appréhendé collectivement. La situation actuelle démontre l’importance d’un notariat fort, structuré et solidaire pour faire face à ses missions. La révolution électronique doit permettre la poursuite de cet objectif en étant gérée avec intelligence, prudence et humilité.